Son nom est revenu sur les listes finales de tous les grands prix de la saison littéraire. Et c’est le Goncourt qui le porte au pinacle. Le plus prestigieux des prix littéraires français revient à l’écrivain sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr, pour son ouvrage «La plus secrète mémoire des hommes».

C’est la consécration d’une carrière encore jeune, mais oh combien riche. Le jeune écrivain de 31 ans, Mohamed Mbougar Sarr, vient d’écrire, en lettres d’or, son nom dans le panthéon de la littérature mondiale. Lauréat du Prix Goncourt 2021, le jeune Mbougar impose au monde la puissance de son écriture. La plus secrète mémoire des hommes, l’ouvrage primé a été salué par toute la critique. Le prix a été annoncé hier à 12h 45 au Restaurant Drouant, dans la plus pure tradition de ce prestigieux prix. Cette saison, le nom de Mbougar Sarr est apparu sur la liste de tous les grands prix de la saison littéraire française, du Renaudot au Médicis, mais aussi du prix des Inrocks et du Grand prix du roman de l’Académie française. A la porte du restaurant, le jeune écrivain sénégalais s’est exprimé en des termes posés, malgré une émotion palpable. «Je crois qu’aujourd’hui, l’académie Goncourt envoie un signal très fort et je pense à beaucoup de gens. D’abord au milieu littéraire français évidemment, mais à tous les milieux littéraires de l’espace francophone. Je ne voudrais pas qu’on pense que cette récompense relève de quelque chose d’exceptionnel. Ce n’est pas une faveur qu’on fait à un écrivain africain. Ce n’est pas parce qu’il est africain qu’il l’a eu. C’est parce que c’est un livre qui est à la base de tout cela. Mais évidemment, je n’ignore pas les questions politiques qu’il peut y avoir derrière une récompense semblable», a réagi l’écrivain. «Je suis le premier Africain subsaharien à obtenir ce prix, mais je ne voudrais pas que l’histoire s’arrête à ce fait. Je veux surtout que cela soit vu comme le début d’une nouvelle ère ; une ère où plus personne ne trouvera cela exceptionnel qu’un Africain subsaharien ou qu’un noir, de façon générale, remporte un tel prix», ajoute-t-il.
Dès l’annonce, les réactions n’ont pas tardé à tomber. Alain Mabanckou, un des premiers à réagir à la nouvelle, écrit sur les réseaux sociaux : «Félicitations au Sénégalais Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021. Le Sénégal honore, en ce jour historique, la littérature mondiale. Bravo !» Editeur du jeune prodige, Felwine Sarr embraye en saluant un «roman éblouissant». «Je suis certain que le meilleur reste à venir pour l’auteur à qui je souhaite une longue vie littéraire et d’autres accomplissements.» Le coéditeur, avec Philippe Rey, de La plus secrète mémoire des hommes, poursuit en évoquant «une belle saison pour les lettres sénégalaises avec ce Goncourt pour Mbougar Sarr, le Prix Neustadt 2022 pour Boubacar Boris Diop, mais également pour les lettres africaines, avec le Prix Nobel de littérature 2021, décerné au Tanzanien Abdulrazakh Gurna». Le choix de faire éditer son ouvrage par la jeune maison Jimsaan est, en quelque sorte, un acte militant du jeune écrivain qui confesse tout de même un fort attachement pour Présence Africaine. Mais à Paris, pour qu’un écrivain atteigne certains niveaux, il lui faut se tourner vers des éditeurs avec des moyens conséquents pour les campagnes de promotion. C’est ce qui explique son arrivée chez Philip Rey, un éditeur indépendant. Et pour «donner un coup de main à Jimsaan», Mbougar a obtenu une coédition pour la maison créée par Felwine Sarr, Boubacar Boris Diop et Nafissatou Dia Diouf.
Le Président Macky Sall a également réagi sur les réseaux sociaux. «Je félicite chaleureusement Mohamed Mbougar Sarr, lauréat du prestigieux Prix Goncourt 2021, pour son roman La plus secrète mémoire des hommes. Je suis fier de cette magnifique consécration qui illustre la tradition d’excellence des hommes et femmes de Lettres sénégalais.»

La jeunesse et le génie
A 31 ans seulement, Mbougar Sarr inscrit son nom dans l’histoire. L’enfant de Fayil, dans la région de Fatick, aîné d’une famille de 7 garçons, a fait ses études au Prytanée militaire Charles Tchoréré, avant d’intégrer une classe préparatoire dans l’Oise. Ensuite, il intègre l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess). Depuis, il n’a pas arrêté d’écrire. La plus secrète mémoire des hommes est son 4e ouvrage. Adoubé par la critique, Mbougar Sarr explique que ce sont ses grand-mères, sa mère, ses tantes et cousines qui l’ont initié́ aux récits, aux histoires, aux légendes, aux contes, aux jeux de mémoire, et ainsi façonné́ l’imaginaire poétique de son enfance. «Je leur dois une part importante et fondamentale, car elles ont été́ au fondement de ma poétique comme écrivain, à la genèse de cette envie de raconter, avant même de savoir que je serai peut-être un jour romancier.» Et ce 4e ouvrage est le fruit d’une quasi obsession nourrie pour l’auteur malien Yambo Ouologuem. «Le Devoir de violence et la trajectoire de Yambo Ouologuem m’ont fasciné de si longues années que j’ai fini par me dire qu’il fallait en faire un roman dont l’histoire serait le point de départ. Cet écrivain célèbré puis abandonné, accusé de plagiat, lâché́ dans une grande solitude par les milieux littéraires européens et par l’intelligence africaine, qui n’a pas supporté́ la radicalité́, la nouveauté́, la provocation, me fascine vraiment», confiait-il dans la presse.

Un chèque de 10 euros
S’il ne reçoit qu’un modeste chèque de 10 euros, les avantages du Goncourt sont ailleurs. En effet, explique Abdourahmane Mbengue, critique littéraire et journaliste, le Goncourt c’est entre 300 et 500 mille ventes et aussi des traductions dans plusieurs langues. Autant dire que les deux maisons éditoriales sont gagnantes aussi, d’autant plus qu’il s’agit de «petites» maisons, comparées à Flammarion ou Galimard. Ce prix attribué au jeune écrivain sénégalais rajeunit considérablement la vénérable institution du Goncourt. Le lauréat de l’année dernière avait plus de 50 ans et généralement, le prix est réservé à des gens qui ont une certaine expérience, souligne M. Mbengue. Avant 2016 où l’académie avait primé Leila Slimani, l’âge moyen des lauréats était de 42,8 ans. Cent ans après René Maran, premier Goncourt noir pour son roman Batouala en 1921, Mohamed Mbougar Sarr vient d’écrire une nouvelle page de la littérature africaine. Mais c’est là une marche vers le sommet qui commence en 2014, avec sa nouvelle La Cale, qui obtenait le Prix Stephen Hessel avant que Terre Ceinte, ouvrage édité chez Présence Africaine, ne reçoive, en 2015, le Prix Ahmadou Kourouma. En 2018, il recevait les Prix du roman métis et Prix Littérature monde pour Silence du chœur. Et cette année 2021, il avait déjà reçu le Prix Transfuge pour ce même roman, La plus secrète mémoire des hommes.

mamewoury@lequotidien.sn

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