Aminata * a passé deux ans en Libye, dont la majorité du temps en prison. À chaque fois, elle a été violée par des gardiens. Elle a donné naissance à une fille dans le pays, fruit de ces violences. Aujourd’hui installée en Tunisie, cette Ivoirienne de 33 ans reste traumatisée. Témoignage.Aminata* a fui la Côte d’Ivoire en 2015 avec sa petite sœur après l’assassinat de son mari, proche du clan Gbagbo. Un temps installées dans le nord Mali, elles ont pris la route vers l’Algérie pour échapper aux djihadistes. Mais les deux femmes ont rapidement été renvoyées vers Agadez, au Niger, par les autorités algériennes. De là, Aminata et sa sœur ont pris la décision de rejoindre la Libye au début de l’année 2019. »Lorsque nous sommes arrivées en Libye, nous avons été vendues par les passeurs et envoyées dans une prison de Sabbah [ville du centre de la Libye, tristement connue pour son marché aux esclaves, ndlr]. Chaque matin, on voyait des cadavres de femmes et d’hommes, morts sous les coups des gardiens.On devait débourser 1 000 euros pour sortir de détention. Les hommes qui n’avaient pas cette somme étaient torturés : les Libyens leur versaient de l’acide sur le corps ou les électrocutaient. Les femmes étaient violées. »J’ai perdu la trace de ma sœur » Une nuit, tous les détenus – une centaine – sont parvenus à s’enfuir pendant que les gardes dormaient. C’est à ce moment-là que j’ai perdu la trace de ma sœur : elle a couru dans un sens, et moi dans l’autre.J’étais alors enceinte de six mois, fruit d’un viol en prison dès mon arrivée à Sabbah. J’ai passé la nuit sur un chantier. Un migrant ghanéen m’a aidée à sortir de la ville et à rejoindre Tripoli. On est restés ensemble, il s’est occupé de ma fille quand elle est née.J’ai très vite posté la photo de ma sœur sur Facebook. J’ai appris plus tard qu’elle avait été arrêtée et renvoyée en prison. Sept mois plus tard, elle est sortie de détention et a trouvé de l’aide. L’homme qui l’a recueillie a également mis des photos de moi sur ses réseaux sociaux. Coup de chance, le Ghanéen avec qui je vivais connaissait le migrant chez qui ma sœur était hébergée. Un soir, il a vu la photo de ma sœur. ‘Elle est vivante, elle est chez un ami’, m’a-t-il dit. Ils nous ont réunies à Tripoli. Quand on s’est vus, on s’est pris dans les bras et on a pleuré pendant de longues minutes.Nous sommes ensuite restées ensemble. Plusieurs fois, je suis sortie pour aller acheter de la nourriture, et j’ai été kidnappée par des miliciens. J’ai fait plusieurs séjours en prison. Je payais les rançons, je sortais, puis, je retrouvais ma sœur dans l’appartement.En tout j’ai fait neuf prisons en Libye. J’ai passé la quasi-totalité de mon séjour en centre de détention. »Lorsque je repense aux viols que j’ai subis, j’ai envie de mourir » À chaque fois, j’étais violée. Je ne peux même pas vous dire combien de fois c’est arrivé, c’est incalculable.Tous les jours, les gardiens viennent chercher des femmes dans les cellules, et les emmènent à l’extérieur. Ils nous violent devant les autres hommes. On les entend rire et se moquer en arabe, car ils savent qu’après ce sera leur tout de nous passer dessus.Lorsque j’en parle, je revis la scène. Lorsque j’y repense, j’ai envie de mourir.Ma sœur a vécu les mêmes atrocités : elle a eu deux enfants en Libye.La dernière prison a été celle de trop. Je ne voulais pas prendre la mer, j’avais trop peur mais je ne pouvais plus rester en Libye. Je préférais mourir en mer. Même si tu ne veux pas aller en Europe, tu fais la traversée pour fuir le pays. »J’ai failli mourir en mer »Nous avons donc pris la décision avec ma sœur de monter dans un canot en juillet 2020. Au dernier moment, sur la plage de Zaouia [ville à l’ouest de Tripoli, lieu des départs d’embarcations de migrants, ndlr], j’ai voulu faire demi-tour. J’étais terrorisée.Mais je n’avais plus le choix. Le passeur libyen a tiré des coups de feu en l’air pour que je monte dans le bateau.Lors de la traversée, j’ai failli mourir. En essayant de récupérer le bébé de deux mois de ma sœur qui venait de tomber dans l’eau, j’ai moi aussi glissé dans les vagues. J’ai soulevé d’une main l’enfant pour qu’il ne se noie pas et j’ai nagé de l’autre main. Des hommes du canot ont plongé et nous ont aidés à sortir.Au bout d’une semaine en mer, avec très peu d’eau et de nourriture, le bateau s’est percé. L’eau rentrait à l’intérieur. Heureusement, nous avons été secourus par les garde-côtes tunisiens. Avec le courant, notre embarcation avait dérivé près de leurs côtes. »*Le prénom a été modifié.Avec Infosmigrants

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