En prononçant la dissolution d’un Parlement hostile, le président Bassirou Diomaye Faye s’est donné les moyens de passer à la vitesse supérieure contre la vie chère et le chômage au bout de cinq mois de pouvoir.

Les Sénégalais qui l’ont élu au premier tour le 24 mars sur la promesse de la rupture après trois années d’agitation et de crise politique vont retourner voter le 17 novembre pour une nouvelle Assemblée nationale, leur a annoncé M. Faye jeudi.

Une décision anticipée par le plus grand nombre.

Cette Assemblée, dominée par l’ancienne majorité présidentielle, « tout le monde savait que ce n’était pas vraiment l’Assemblée dont on avait besoin », dit un Dakarois, Malick Ndione. « Pour leur permettre de bien diriger, il faut que la majorité au niveau de l’Assemblée soit de leur côté ».

Elhadji Mamadou Mbaye, enseignant en Sciences politiques à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, s’attend à la victoire du camp de M. Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko.

« Les gens sont prêts (à prolonger la dynamique présidentielle) et conscients qu’il leur faut cette majorité, je pense qu’ils auront cette majorité », dit-il. Vu l’affaiblissement de l’opposition, ils pourraient même « rafler tout ».

« Historiquement, les électeurs sénégalais se sont toujours conformés à leur vote lors de la présidentielle pour donner une majorité confortable au pouvoir nouvellement élu », et cela devrait se confirmer en novembre, éditorialise le quotidien gouvernemental le Soleil.

Investi le 2 avril, M. Faye a composé depuis avec une Assemblée élue en 2022 et favorable à son prédécesseur Macky Sall. Il en a annoncé la dissolution aussitôt que le lui permettait la Constitution, deux ans après le début de la législature.

M. Faye a été porté à la tête de son pays par les immenses attentes d’une population dont les trois-quarts ont moins de 35 ans et dont une grande partie se bat au quotidien pour trouver du travail et joindre les deux bouts.

Il est confronté à son tour à la réalité des milliers de Sénégalais qui s’embarquent chaque année dans des pirogues au péril de leur vie pour tenter de gagner l’Europe. Une quarantaine d’entre eux ont péri encore cette semaine, suscitant une vive émotion.

Inconnue budgétaire

Depuis avril, le gouvernement a baissé les prix du riz, de l’huile et du sucre, initié une grande réforme de la justice et lancé des audits tous azimuts. Mais les grands plans d’action se font attendre.

M. Faye a accusé l’Assemblée d' »entraver la mise en oeuvre du projet sur la base duquel (il a) été élu ».

« Les Sénégalais veulent que le gouvernement prenne à bras le corps les urgences de ce pays et, le 17 novembre prochain, ils pourront choisir d’accorder ou non une majorité au régime actuel », s’est réjoui sur les réseaux sociaux Ayib Daffé, président du groupe parlementaire qui soutient le président.

Avec les législatives doit commencer « une nouvelle temporalité » du quinquennat, a dit le président. Elle comporte des incertitudes.

Les délais d’organisation des élections sont courts. Les questions de révision des listes électorales et de maintien ou non du parrainage des candidatures ne sont pas tranchées.

Charles Emile Abdou Ciss, un ancien directeur de la Solde, qui surveille la masse salariale de l’État, s’est alarmé sur Facebook du « risque majeur » que représentait la dissolution pour les finances publiques faute de vote des projets de lois de finances rectificative 2024 et de loi de finances 2025, et de l’effet sur les partenaires techniques et financiers du pays.

Après une série de manœuvres de part et d’autre, l’impact sur le crédit d’un président et d’un Premier ministre qui promettent d’en finir avec les pratiques politiciennes passées est également interrogé.

Le président avait fixé à vendredi la déclaration de politique générale du Premier ministre, objet d’une profonde discorde avec l’Assemblée. Cette dernière a été dissoute sans qu’elle ait lieu.

Le président a ainsi soustrait son Premier ministre au danger d’une motion de censure, exécutant les instructions de ce dernier et cherchant à dissimuler « leur incapacité à résoudre les problèmes des Sénégalais », s’est indigné le groupe de l’ancienne majorité présidentielle.

L’universitaire Elhadji Mamadou Mbaye observe que M. Faye a « fait de la poltique », ce qui est « de bonne guerre ». Le vrai cap, ce seront les législatives, dit-il: « On veut les juger sur leurs réalisations et pour le moment ce n’est pas possible.

Jusqu’alors, ils ont eu cet alibi » de l’Assemblée hostile, mais il ne devrait bientôt plus être valable.