Le gouvernement sénégalais a indiqué avoir ouvert une enquête sur des vidéos montrant des hommes armés en civil aux côtés des forces de défense et de sécurité durant les manifestations qui ont suivi la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko. Elles ont fait 16 morts, selon le bilan officiel, 23 selon Amnesty International. Le parti Pastef et les ONG de défense des droits de l’Homme accusent le pouvoir d’avoir recours à des « nervis » – des hommes de main – dans les opérations de maintien de l’ordre.

Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac

Les images ont été largement relayées dans les médias locaux et internationaux : celles d’hommes en civil, souvent à bord de pick-up blancs, chassant des manifestants. Lors d’une conférence de presse le 4 juin, la police a également présenté des vidéos prouvant, selon elle, la présence d’« individus infiltrés dans les manifestations et engagés dans des activités subversives ».

Mais les images complètes montrent que ces mêmes individus agissent aux côtés de personnes en uniforme. Selon le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diom, ce sera à la justice de trancher. « Depuis quelques jours, il s’est installé au Sénégal une controverse sur la diffusion de certaines vidéos. Une enquête a été ouverte sur de tels faits, assure le ministre. Chaque observateur peut emmener sa part de vérité, mais il appartiendra en définitive à la justice de dire la vérité. Je voudrais préciser que ce ne sont pas des controverses qui sont propres à notre pays. J’ai regardé d’ailleurs, sur l’international, qu’il y avait une controverse sur les campagnes de désinformation qui pouvaient intéresser un ou plusieurs pays. »

Le recours à des « nervis » avait déjà été constaté et dénoncé lors des émeutes meurtrières de mars 2021. À l’époque, au moins 13 personnes avaient été tuées. Les autorités avaient annoncé des enquêtes, sans résultat pour l’heure, selon les organisations de défense des droits de l’homme.

La Ligue des droits de l’homme veut une enquête indépendante

En attendant, la société civile sceptique sur l’enquête annoncée, constate notre envoyé spécial à Dakar David Baché. Le signal serait positif… s’il était jugé crédible. Mais Denis Ndour, vice-président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, n’est pas vraiment convaincu : « Chaque fois qu’il y a eu des morts ou que des populations se sont posées des questions, tantôt c’est le procureur qui fait un point de presse pour rassurer, tantôt c’est un ministre de la République qui nous dit qu’il y a des enquêtes. Et au final, ce sont des enquêtes où il n’y a jamais de résultats », dit-il.

Les vidéos sur lesquelles les autorités sénégalaises promettent d’enquêter mettent à mal la version officielle. 

La plus virale, celle d’un homme en t-shirt rouge armé d’un fusil, avait été utilisée par la police elle-même, afin de démontrer l’infiltration des manifestations par des hommes venus « tirer sur la population » pour « ensuite accuser les forces de l’ordre », selon les propos tenus par le commissaire de la police nationale sénégalaise, Mohamadou Gueye, le 4 juin dernier lors d’une conférence de presse.

Mais une version plus longue de cette même vidéo, qui a largement circulé sur les réseaux sociaux avant d’être analysée par plusieurs médias, montre cet homme en connivence avec des policiers sénégalais, à bord du même véhicule. 

Denis Ndour, de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, demande une enquête indépendante : « Ce serait mieux d’avoir une commission indépendante de grandes personnalités, reconnues pour leur intégrité neutre dans les affaires publiques : des professeurs d’université, des leaders d’opinion… Ce serait beaucoup plus crédible. » 

De leur côté, les organisations de défense des droits humains continuent de mener, collectivement, leurs propres investigations.